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Extrême-droite sans frontière

La tentation nationaliste gagne aussi la Corée du Sud.


Séoul, le 13 août - un manifestant conservateur brandit des pancartes aux slogans anti-chinois. @The Korea Times/Choi Ju-yeon
Séoul, le 13 août - un manifestant conservateur brandit des pancartes aux slogans anti-chinois. @The Korea Times/Choi Ju-yeon

Alors que Séoul tente de relancer son économie et de réchauffer ses relations avec Pékin, une vague de manifestations anti-chinoises gagne la rue. Entre pancartes nationalistes, théories complotistes et nostalgie d’un pouvoir conservateur, la fronde révèle les fractures d’une société coréenne où l’extrême droite s’assume désormais à visage découvert.


Les rues s’enflamment

Décidément, les tentacules de l’extrême droite s’étendent, s’étendent…


Depuis plusieurs semaines, Séoul voit fleurir des pancartes, des mégaphones et des slogans rageurs, certaines affichant le visage de l’ancien président déchu Yoon Suk-yeol, de Donald Trump ou encore du podcasteur américain d’extrême droite Charlie Kirk.


Des centaines de manifestants, drapeaux coréens au vent, crient leur refus d’accueillir les touristes chinois. Dans les quartiers de Myeong-dong et Daerim, prisés des visiteurs venus de Chine, les rassemblements se multiplient, mêlant ferveur patriotique et rejet de l’autre.


Séoul, le 19 septembre - colère dans la rue contre l'arrivée de touristes chinois sans visa. @Yonhap/The Korea Herald
Séoul, le 19 septembre - colère dans la rue contre l'arrivée de touristes chinois sans visa. @Yonhap/The Korea Herald

Un visa qui fâche

Tout est parti d’une décision gouvernementale pourtant économique : la mise en place d’un programme temporaire d’exemption de visa pour les groupes de touristes chinois, afin de relancer un secteur touristique encore fragilisé par la pandémie.


Mais à peine la mesure annoncée, les réseaux ultranationalistes s’enflamment. Sur les forums, la rumeur court : “invasion sanitaire”, “menace d’espionnage”, “colonisation économique”.


Le 30 septembre, près de 300 manifestants se rassemblent devant l’Assemblée nationale pour réclamer la fin du dispositif. Les slogans sont souvent les mêmes : « China Out », « Restez chez vous », « Protégeons la Corée ». Et sur Internet, les messages dérivent vers la haine pure. Un individu a même publié un appel à poignarder des touristes chinois, déclenchant une enquête policière. Les commerçants, eux, s’inquiètent.


Aéroport d'Incheon, le 30 septembre - Arrivée de touristes chinois après la mise en oeuvre du programme d'exemption de visa. @Yonhap
Aéroport d'Incheon, le 30 septembre - Arrivée de touristes chinois après la mise en oeuvre du programme d'exemption de visa. @Yonhap

Le retour du spectre nationaliste

Cette flambée anti-chinoise n’est pas neuve. Elle s’inscrit dans un long cycle de méfiance né du déploiement du bouclier antimissile THAAD en 2017, qui avait provoqué une crise diplomatique majeure entre Séoul et Pékin.


📎 Encadré — Le bouclier antimissile THAAD, une crise qui a laissé des traces. En 2017, Séoul a autorisé le déploiement du système américain THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), censé protéger le pays contre les missiles nord-coréens. Pékin y a vu une menace directe à sa sécurité, estimant que le radar du dispositif pouvait espionner son territoire. En représailles, la Chine a imposé des sanctions économiques : boycotts de produits coréens, annulations massives de voyages, chute du tourisme. Cette crise a laissé des rancunes durables dans les deux pays, alimentant aujourd’hui une partie du sentiment anti-chinois en Corée du Sud.


Mais aujourd’hui, le ton a changé : ce n’est plus seulement la politique chinoise qui est visée, c’est le peuple chinois lui-même. Et certains politiciens s’en délectent. Le People Power Party (PPP), principal parti conservateur, multiplie les déclarations alarmistes. L’un de ses dirigeants, Kim Min-soo, a qualifié la mesure de “pari dangereux pour la sécurité publique”, évoquant des “risques d’épidémies” et “d’immigration illégale”. Une rhétorique qui rappelle, sous d’autres latitudes, celle des populismes occidentaux.


Le gouvernement tente de reprendre la main

Face à cette montée de haine, le président Lee Jae-myung a réagi avec fermeté.


Jeudi, il a ordonné aux autorités de faire cesser les rassemblements racistes et de protéger les visiteurs étrangers. “Ces manifestations nuisent à notre économie et à notre image dans le monde”, a-t-il déclaré, rappelant que les touristes chinois représentent une part essentielle des revenus du pays.


Le gouvernement espère attirer plus d’un million de visiteurs chinois supplémentaires d’ici la mi-2026. Les grandes enseignes ont déjà lancé des campagnes promotionnelles, et les plateformes de paiement chinoises (Alipay, WeChat Pay) refont surface dans les boutiques coréennes.


Diplomatie sous tension à l’approche de l’APEC

Mais cette ambiance délétère tombe au plus mauvais moment.


À la veille du sommet de l’APEC, prévu fin octobre à Gyeongju, les tensions risquent de compromettre la visite du président Xi Jinping, encore incertaine. Pékin a récemment annulé sa réservation à l’hôtel Shilla Seoul, alimentant les rumeurs d’un séjour réduit ou d’un simple passage en province.


De son côté, l’ambassade de Chine à Séoul a appelé ses ressortissants à “la vigilance”, dénonçant “les provocations de l’extrême droite sud-coréenne” et les “désinformations répandues par certains politiciens”.


📎 Encadré — L’APEC 2025 : la Corée du Sud en médiatrice fragile entre Pékin et WashingtonLa Corée du Sud accueillera fin octobre le sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) à Gyeongju, un rendez-vous majeur réunissant les économies les plus dynamiques du Pacifique, dont les États-Unis, la Chine et le Japon. Le président Lee Jae-myung y voit une occasion stratégique : celle de positionner Séoul comme un pont diplomatique entre les deux grandes puissances rivales, Pékin et Washington.


Mais cette ambition pourrait être compromise par la fronde nationaliste et les manifestations xénophobes qui secouent actuellement le pays. En affichant des pancartes à la gloire de Donald Trump ou des slogans anti-chinois, une partie de l’extrême droite coréenne sabote le rôle d’intermédiaire pacifique que Séoul espère jouer sur la scène internationale.



De la peur à la politique

La fronde anti-chinoise en Corée du Sud ne traduit pas seulement la peur de l’autre. Elle dit surtout la banalisation d’un nationalisme sans frontières, qui parle le même langage partout, de Séoul à Varsovie, de Miami à Tokyo.


Quand des militants coréens brandissent les portraits de Donald Trump, ils ne rendent pas hommage à l’Amérique : ils reflètent un malaise mondial, celui d’une époque où la colère identitaire devient un drapeau agité sans vergogne par des politiciens peu scrupuleux.


Ce mouvement n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un moment où la politique se vide de sens, où la peur tient lieu de programme, et où chaque pays, qu’il soit immense ou minuscule, s’invente des ennemis pour se rassurer.

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