Ombrelle, blancheur et colonisation
- Eleonore Bassop
- 3 août
- 4 min de lecture
Alors que la canicule sévit un peu partout sur la planète, chacun cherche à se protéger de l’ardeur du soleil comme il le peut.
En Corée du Sud, un accessoire discret mais redoutablement efficace a fait son grand retour: le parasol, ou plutôt l’ombrelle, désormais brandi aussi bien par les jeunes femmes que par les grands-mères… et de plus en plus d’hommes.
C’est en les voyant pulluler dans les rues de Séoul que je me suis dit : Tiens, et si je vous racontais l’histoire coloniale, esthétique et géopolitique du parasol ? Bon, dit comme ça, on dirait le sujet d’une thèse.
Mais je vous promets : on va parler d’histoire coloniale, de normes esthétiques, de Bollywood… et de ce que cela révèle de notre rapport au soleil, et aux autres.
Allez, ombrelle en main, suivez-moi.
La polémique TikTok : quand le parasol devient politique
Tout est parti d’une vidéo TikTok postée par une créatrice noire américaine. Sur un ton mi-amusé, mi-exaspéré, elle s’étonne de l’usage massif des ombrelles en Asie, et notamment en Corée du Sud :
« Quelqu’un peut m’expliquer pourquoi les Asiatiques ont si peur du soleil ? »
Et de conclure :
« Vous devez vous débarrasser de ce truc de suprématie blanche que vous avez intériorisé. »
Ambiance.
La vidéo a fait réagir, pas seulement les internautes, mais aussi des médias coréens très sérieux comme The Korea Herald ou The Korea Times, qui ont rappelé que :
le parasol sert avant tout à protéger la peau des UV (et donc du cancer),
son usage a explosé avec la canicule (jusqu’à +42 % de ventes en ligne en une semaine),
de plus en plus d’hommes l’adoptent, au point que le dictionnaire coréen a dû revoir sa définition pour retirer la mention “utilisé principalement par les femmes”.
Mais alors, marcher à l’ombre est-il un acte politique ?Est-ce qu’on perpétue la colonisation en se protégeant du soleil ?Tentons d’y voir clair… sans s’aveugler.
Quand l’ombre devient un privilège
Si l’on remonte un peu dans le temps, l’ombrelle n’a rien d’anodin. Dans les plantations esclavagistes, elle était parfois tenue par un esclave noir au-dessus de la tête de la maîtresse blanche. Sur les photos de l’époque coloniale, on voit souvent un “boy” africain ou asiatique abritant son colon du soleil.
L’ombrelle, c’est le symbole mobile du pouvoir.
Elle distingue les corps qu’on protège de ceux qu’on expose :l’un bronze, l’autre brûle ;l’un se repose, l’autre peine ;l’un garde sa peau claire, l’autre la voit noircir — et, avec elle, son rang social.
Bref, le parasol n’a jamais été un simple accessoire.Il a toujours protégé plus que la peau : il protégeait une hiérarchie.
La blancheur en Asie : entre esthétique ancienne et héritage colonial
Soyons justes : l’idéal de peau claire ne vient pas uniquement des colons européens. Bien avant leur arrivée, les élites chinoises, coréennes, japonaises et indiennes valorisaient déjà la pâleur, synonyme de raffinement, de douceur, d’oisiveté. Une peau non exposée, c’était la preuve qu’on ne travaillait pas aux champs.
Mais la colonisation a ajouté une couche, ou plutôt un fond de teint idéologique. Être clair, c’était désormais ressembler au colon, et donc paraître plus “éduqué”, “raffiné”, “civilisé”.
Résultat : des générations entières ont intégré l’idée qu’il fallait s’éclaircir pour réussir. Le marché des crèmes blanchissantes est devenu un empire. En Inde, en Chine ou en Corée, les slogans vantent la peau claire comme atout pour séduire, décrocher un emploi ou simplement “faire bonne impression”.
Et dans les séries coréennes ? Pas une ride, pas un bouton, et surtout : pas de teint mat, en tout cas, pas chez les héroïnes.
Je ne peux m'empêcher de repenser aux mots d’Arundhati Roy, autrice et militante indienne, à propos des acteurs de Bollywood :
« Quand on regarde les films et les séries indiens, on a l’impression que l’Inde est peuplée de personnes blanches. »
Ah, ces écrans qui préfèrent l’uniformité à la réalité.
Et la santé, dans tout ça ?
Revenons à la Corée, et à ce que disent les dermatologues : le parasol est aussi un geste de santé publique.
Le Dr Cho Sung-jin, de l’Hôpital national de Séoul, rappelle que les UV sont le principal facteur de risque de cancer de la peau. En Corée, les parasols doivent bloquer au moins 85 % des rayons UV, et les modèles sombres sont encore plus efficaces.
Autrement dit : se protéger du soleil, c’est tout simplement du bon sens.
Les parasols font d’ailleurs leur retour aux États-Unis, où ils avaient disparu depuis les années 1990. À New York, ils sont même devenus un nouvel accessoire tendance, comme le souligne le New York Post.
Petite philosophie de l’ombre
Et moi, dans tout cela ?
Je n’ai pas d’ombrelle, juste une crème solaire pour protéger ma mélanine, un afro en guise de chapeau, des lunettes noires… et c’est tout.

En Corée, en revanche, on dégaine le parapluie dès que le soleil cogne : jeunes femmes, grands-mères, et de plus en plus d’hommes le sortent par habitude.
Est-ce une obsession de la blancheur ? Parfois.
Une précaution santé ? Très souvent.
Un héritage complexe ? Certainement.
Mais inutile de brandir le mot “racisme” à chaque accessoire : on n’en finirait plus de traquer la moindre faute de goût.
Le parasol, aujourd’hui, c’est peut-être simplement une façon de prendre soin de soi, d’autant que beaucoup ignorent la charge symbolique qu’il a pu porter. Et parfois, dans ce monde qui brûle, au propre comme au figuré, choisir l’ombre, c’est déjà une forme de sagesse.










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