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- « FEMMES » par Pharrell Williams : l'art au féminin et au pluriel
Exposition FEMMES, Galerie Perrotin Il y a d’abord ce nom : Pharrell Williams. Beaucoup viennent pour lui. Par curiosité, par fidélité, par amour de la pop culture. Mais ce qu’ils découvrent en poussant la porte de la galerie Perrotin à Paris risque bien de les surprendre. FEMMES , c’est le titre. En lettres capitales, pluriel assumé. Une exposition dense conçue par Pharrell comme une ode aux artistes noirs, femmes pour la plupart, qui racontent le monde d’aujourd’hui avec leurs mots, leurs gestes, leurs matières. Pas une célébration nostalgique du passé, mais une plongée dans l’urgence du présent. L’exposition ne se veut pas un monument figé. Elle respire, elle pulse, elle écoute. En entrant dans les salles, on est saisi par cette énergie hybride, entre tradition et innovation, qui traverse les œuvres exposées. Comme dans le roman Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie , FEMMES relie les continents, les générations, sans jamais perdre de vue ce que c’est que d’exister aujourd’hui, dans un corps noir, dans un monde complexe. Un tableau de Nina Chanel Abney vous saisit dès les premières minutes. Des formes vives, des couleurs qui explosent, une composition qui rappelle les jeux vidéo, les réseaux sociaux, les détournements de la culture numérique. L’esthétique visuelle a tout d’un clip. Et pourtant, ce que ça dit, c’est plus profond. On pense à la série She’s Gotta Have It de Spike Lee , où l’héroïne Nola Darling vit entourée d’artistes afro-américains contemporains (Kehinde Wiley, Amy Sherald…), les œuvres ici ne décorent pas. Elles racontent, elles questionnent, elles s’imposent. Plus loin, les pièces textiles de Kenia Almaraz Murillo ressemblent à des cartes émotionnelles. Des patchworks brodés, colorés, denses, où l’intime se mêle au politique. On devine des histoires de migrations, de transmissions, de luttes aussi. Le textile devient armure, cri, affirmation. Et puis, il y a les sculptures de Seyni Awa Camara , en terre brute, presque archaïques. Elles évoquent l’enfance, la maternité, les généalogies invisibles. Ce sont des totems discrets, solides. Dans une salle voisine, les collages de Malala Andrialavidrazana interrogent les archives coloniales et les récits dominants. Ils superposent cartes, portraits anciens, photographies déchirées. Une mémoire fragmentée, mais jamais effacée. Dans la dernière salle, les sculptures de Kennedy Yanko , faites de métal froissé et de peinture coulée, évoquent une esthétique post-apocalyptique. On pense à la science-fiction de N.K. Jemisin , à des mondes brisés qui inventent de nouveaux codes de beauté. C’est peut-être ça, le vrai propos de FEMMES : montrer que l’art afro n’est pas seulement en train de rattraper l’histoire. Il est en train de créer l’avenir. Ici, la pop culture n’est pas un habillage. Elle est un matériau, une langue. Elle est présente dans les formes et dans les références. Comme le cinéma de Barry Jenkins , comme les clips de Solange , comme les romans graphiques de Marguerite Abouet , FEMMES raconte ce qui arrive quand la culture noire prend le contrôle de sa propre narration. Il ne s’agit pas de faire joli, il s’agit de faire sens. Et Pharrell, curateur inattendu mais sincère, prouve qu’on peut faire dialoguer le glamour et la profondeur, la forme et le fond, l’accessible et l’inédit. Avec cette exposition, il ne cherche pas à illustrer le passé. Il aide à inventer ce que pourrait être demain. Infos pratiques FEMMES – jusqu’au 19 avril 2025 Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, Paris 3e Entrée libre. Un conseil : prenez votre temps.
- Fanon, de Jean-Claude Barny
Il y a des films qui tombent à pic. Fanon , de Jean-Claude Barny, qui sortira en salles le 2 avril, est de ceux-là. Dès l'ouverture, un coup de feu claque, nous arrachant au confort de nos sièges pour nous jeter au cœur du fracas colonial. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Puis ces mots de Fanon s’imposent à l’écran : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir. » Le ton est donné. Il fallait ce film pour rappeler que Fanon n’est pas qu’un nom sur une page d’universitaire, mais un corps, une voix, un combat. En France, il reste un grand absent. On cite son nom, mais qui sait encore ce qu’il a dit, écrit, défendu ? Barny retrace l’itinéraire de ce Martiniquais devenu l’une des figures de la lutte algérienne, psychiatre et penseur dont l’œuvre est un cri contre toutes les oppressions. Fanon de Jean-Claude Barny, un film nécessaire, en ces temps troubles En ces temps où l’on suspend un journaliste pour avoir rappelé les crimes coloniaux, que des documentaires sur l’Algérie disparaissent des écrans, Fanon pose une question dérangeante: que faisons-nous de notre histoire coloniale ? Car nous vivons à l'ère de la post-vérité, où les faits historiques deviennent secondaires face aux récits que l'on fabrique, aux émotions que l'on manipule, aux vérités que l'on adapte. Barny nous ramène à l’essentiel : l’histoire, les luttes, la réalité brute de la colonisation et de ses séquelles. Peau Noire, Masques Blancs : une boussole universelle Peau Noire, Masques Blancs n’est jamais loin, ce texte de jeunesse, cette thèse refusée, qui demeure une boussole pour quiconque cherche à comprendre la mécanique implacable de la colonisation. Barny le filme, littéralement. À travers la figure d’un Fanon médecin, psychiatre à Blida, où les murs de l’hôpital bruissent de la violence coloniale, où soigner signifie résister. Là, dans ce lieu censé réparer les âmes, Fanon comprend que la psychiatrie coloniale est aussi une arme pour maintenir l’oppression. Mais Fanon est avant tout un film d’introspection. Un homme qui doute, qui pense, qui écrit. Aux côtés de Josie, son épouse, et d’Olivier, leur fils né à Alger, il s’ancre dans une vie familiale, loin du mythe figé. Des images qui marquent Barny parsème son film d’allégories qui interrogent. Ce crabe, sur lequel Fanon tire enfant, est-ce la maladie tapie en lui, ou le mal colonial qui gangrène les corps et les âmes ? Cette mangrove suspendue au mur d’Alger, miroir de ses racines martiniquaises ou dédale intérieur où se perdent ses patients ? Et cette mer face à lui au moment ultime, serait-elle l’exil, le passage du milieu, l’histoire des opprimés ? Jean-Claude Barny nous pousse à regarder au-delà des images. Un film pour aujourd’hui, un film pour demain En cette année du centenaire de Frantz Fanon, le film de Jean-Claude Barny ne se contente pas d’un hommage. Il ravive une pensée toujours brûlante, qui éclaire nos sociétés et leurs rapports aux dominations passées et présentes. Barny filme un Fanon vivant et insoumis car l’histoire ne s’efface pas et une société ne se construit pas sur l’oubli. Ce film est un rappel : chaque génération doit affronter sa mission. Mais la nôtre en est-elle digne ?
- Exposition sur les quais du RER C. Les cimetières à vélos en Chine
Exposition Chine, Des cimetières à vélos. Photographies de Wu Guoyong. Sur les quais de la station Invalides du RER C À la gare des Invalides, côté RER C, une halte inattendue s'impose. Pas de quai bondé, pas de train à attraper, juste une plongée en pleine dystopie urbaine avec l’exposition « Chine des cimetières à vélos » du photographe Wu Guoyong. Ici, les bicyclettes ne filent plus le nez au vent, elles s’empilent, rouillées, abandonnées, formant des montagnes absurdes, vestiges d’un rêve trop grand La fin d’un symbole Souvenez-vous de ces images d’une Chine où la bicyclette régnait en maître, immortalisée dans les romans de Yu Hua ou les films de Wang Xiaoshuai . Beijing Bicycle en 2001 en faisait déjà le symbole d’une société en mutation : objet de liberté, mais aussi de lutte et d’injustice. Aujourd’hui, ces vélos en libre-service, promesse d’un futur éco-responsable, ont fini par encombrer trottoirs et esprits, jusqu’à devenir indésirables. Trop d’ambition, trop de machines, et surtout, trop d’oubli. Alors, on range, on empile, on efface. Entre mémoire et modernité Wu Guoyong capture ces cimetières de métal comme d’autres immortalisent des temples en ruines. Chaque cliché raconte une histoire de course effrénée et de fin programmée, une poésie urbaine à la Jia Zhangke , où le passé et le présent se croisent sans vraiment se comprendre. Still Life n’est pas loin : ici aussi, le progrès avance en laissant derrière lui des fantômes. On pense à Lu Xun , qui décrivait déjà une Chine en perpétuel chantier, hésitant entre modernité et mémoire. Ces bicyclettes sont-elles les dernières victimes d’une marche forcée vers l’avant ? Ou bien ne sont-elles qu’un reflet de nous-mêmes, lancés à pleine vitesse sans jamais savoir où l’on va ? Une dernière balade En laissant l’exposition derrière soi, la ville reprend ses droits, les klaxons couvrent la mélancolie. Mais une image demeure : celle de ces vélos, amoncelés comme des ossements, attendant qu’on les oublie pour de bon. À voir, avant que tout ne disparaisse.
- Le suicide en Corée du Sud : miroir d’une société en souffrance ?
Le 16 février dernier, la Corée du Sud s’est réveillée sous le choc d’une nouvelle tragédie : l’actrice Kim Sae-ron, 24 ans, a été retrouvée inerte à son domicile. Cette disparition s’ajoute à une liste déjà beaucoup trop longue d’artistes sud-coréens ayant mis fin à leurs jours ces dernières années. De Moonbin, membre du groupe Astro, à l’acteur de Parasite Lee Sun-kyun, en passant par l'acteur bien connu des séries coréennes Song Jae-lim, le phénomène semble s’amplifier, révélant une fracture profonde au sein d’une société où le suicide est devenu une véritable épidémie silencieuse. Un Pays Où la Mort Jeune Devient une Norme Inacceptable La Corée du Sud affiche l’un des taux de suicide les plus élevés au monde, en particulier chez les jeunes. En 2022, il s’agissait de la principale cause de mortalité pour les 10-39 ans. Cette statistique effarante n’est pas anodine : elle révèle une société où la pression sociale, la compétition féroce et l’isolement psychologique pèsent lourdement sur les épaules de la jeunesse. Mais que dit d’un pays le fait que ses enfants, ses artistes, ses créateurs en viennent à se donner la mort dans une quasi-indifférence ? Comment une nation, si tournée vers l’innovation et le développement économique, peut-elle abandonner ses âmes les plus sensibles à une détresse aussi abyssale ? Le Poids de la Célébrité : Une Cage Dorée et Mortifère Être artiste en Corée du Sud, et plus encore être une idole de la K-pop ou un acteur de renom, c’est évoluer sous un regard permanent. La culture du Han – ce mélange de mélancolie et de douleur transgénérationnelle profondément ancré dans l’histoire du pays – se double ici d’une pression médiatique et sociale écrasante. Les agences de divertissement exercent un contrôle drastique sur la vie de leurs artistes, imposant des régimes stricts, des horaires infernaux et une image immaculée à maintenir sous peine de perdre tout soutien. Cette pression s’accentue avec l’omniprésence des sasaeng , ces fans obsessionnels qui traquent les moindres faits et gestes de leurs idoles, allant jusqu’à les harceler, les espionner, voire menacer leur vie privée. Plusieurs artistes, comme l’ancienne chanteuse du groupe f(x) Sulli ou la star de K-pop Goo Hara, ont dénoncé cette toxicité avant de succomber sous le poids du harcèlement. L’ère numérique amplifie cette traque constante, où chaque erreur est immédiatement jugée sur les réseaux sociaux, souvent avec une violence inouïe. L’Indifférence d’un Système Qui Se Refuse à Écouter Si la Corée du Sud est capable de s’attrister publiquement de ces drames, la société peine encore à instaurer des réformes concrètes pour endiguer cette vague de suicides. La stigmatisation de la santé mentale y est encore profondément ancrée. Aller consulter un psychologue reste un tabou, un aveu de faiblesse dans un pays où l’effort et la réussite collective prévalent sur l’individu. Ce paradoxe est d’autant plus cruel que la culture coréenne, aussi bien en littérature qu’au cinéma, explore souvent les thèmes de la solitude et du désespoir. Han Kang, lauréate du Prix Nobel de Littérature 2024, interroge dans ses romans les mécanismes qui enferment l’individu dans des carcans sociaux étouffants. Son œuvre dévoile comment la pression des traditions, l’exigence de conformité et l’impossibilité d’exister librement peuvent mener à l’anéantissement de soi. Au cinéma, Peppermint Candy (2000) de Lee Chang-dong illustre avec une intensité poignante la descente aux enfers d’un homme brisé par un système implacable. Racontée à rebours, son histoire met en lumière les blessures profondes infligées par une société qui ne laisse aucun répit. Plus récemment, Parasite (2019) de Bong Joon-ho a révélé aux yeux du monde les fractures d’un pays où l’ascension sociale est une illusion et où l’injustice nourrit un mal-être grandissant. Quel Avenir pour la Jeunesse Coréenne ? Face à cette situation alarmante, des mesures urgentes s’imposent. La Corée du Sud doit faire évoluer sa perception de la santé mentale, briser les tabous et mettre en place des politiques de prévention efficaces. Il est essentiel que les institutions, les agences de divertissement et le gouvernement s’engagent activement pour protéger ces jeunes talents avant qu’ils ne deviennent les nouvelles victimes d’un système aveugle à leur détresse. Le suicide n’est pas une fatalité, et il ne devrait jamais être une norme acceptée. Tant qu’un pays abandonne ses enfants à l’abîme du désespoir sans leur tendre la main, il ne pourra prétendre à une véritable modernité. La culture, la philosophie et l’art doivent devenir des espaces de libération et non des cages dorées où l’éclat des projecteurs cache une ombre grandissante.
- Féminisme de pouvoir : Sororité à huis clos
Il y a quelque chose de troublant dans l’image que l’on se fait de la sororité au sommet. Une belle promesse de solidarité entre femmes, un front uni contre le plafond de verre, une main tendue à celles qui suivent. Et pourtant, derrière ce vernis d’émancipation collective, une autre réalité se dessine : celle d’une élite féminine qui s’organise pour se coopter, qui parle d’inclusion tout en verrouillant les portes derrière elle. Femmes de pouvoir, Illustration générée par DALL·E Jane Fonda, icône féministe et actrice engagée, l’avait dénoncé sans détour au moment du lancement de # MeToo , un mouvement qu’elle voyait dominé par des femmes blanches et aisées. Une indignation sélective, qui mettait de côté les premières particulièrement concernées par les violences sexistes et sexuelles : les femmes racisées, précaires, travailleuses invisibles de l’ombre. Cette fracture, elle ne date pas d’hier. Déjà dans les années 70, la militante afro-féministe Bell Hooks alertait sur la manière dont certaines féministes blanches se battaient pour accéder aux mêmes privilèges que les hommes, sans remettre en question les structures de domination qui broyaient les plus vulnérables. Aujourd’hui, l’histoire se répète. Dans les hautes sphères des entreprises, des femmes accèdent aux postes-clés, occupent des sièges en conseil d’administration, dirigent des multinationales. Mais combien d’entre elles tendent réellement la main aux autres femmes, à celles qui n’ont pas eu le même parcours, le même réseau, le même capital social ? À trop vouloir mimer les cercles élitistes masculins, certaines finissent par en reproduire les codes : cooptation, entre-soi, condescendance. Le pouvoir, après tout, a toujours été une affaire de caste avant d’être une affaire de genre. Margaret Atwood l’illustrait brillamment dans La Servante écarlate , où les Épouses, femmes de l’élite, ne remettent jamais en cause le système oppressif qui les sert. Elles y participent, elles en tirent profit, et elles méprisent celles qui sont en bas de l’échelle. Le cas de Sheryl Sandberg, ex-directrice des opérations de Facebook, est frappant. Son livre Lean In , qui encourage les femmes à s’affirmer dans le monde du travail, s’adressait surtout à celles qui avaient déjà les cartes en main pour y parvenir. Son discours ne concernait pas les mères célibataires cumulant deux emplois sous-payés, ni les femmes racisées victimes de discrimination systémique. Alors, ce féminisme des classes supérieures bénéficiera-t-il à toutes ? L’histoire montre que non. Parce que le combat pour l’égalité ne peut se limiter à une question de parité en entreprise, à des quotas de femmes PDG ou à des panels sur la diversité en conférence. Il doit être un combat pour toutes, y compris pour celles qui n’ont pas la voix, le réseau ou le privilège d’être écoutées. Tant que la sororité se vivra à huis clos, elle ne sera qu’un miroir aux alouettes.
- Presi per incantamento : Entre réel et imaginaire
Une forêt dorée, des lumières mouvantes, des sculptures délicates : au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD) à Tours, l’exposition Presi per incantamento transporte ses visiteurs dans un univers où le merveilleux surgit à chaque instant. Inspirée par la poésie de Dante et des œuvres d’art visionnaires, elle explore notre relation à la nature, au vivant et à l’invisible. Dès l’entrée dans la Galerie Blanche, le titre évocateur de l’exposition, Presi per incantamento ( pris par l’enchantement ), s’impose comme un manifeste. Il traduit cet état suspendu où l’art nous fait basculer dans une autre dimension. Ce glissement, orchestré par les commissaires Chiara Bertola et Isabelle Reiher, prend vie à travers les créations de 15 artistes internationaux, dont Mona Hatoum, Stefano Arienti et Christiane Löhr. Ensemble, leurs œuvres tissent un dialogue mêlant fragilité, force et réflexion critique. Éphémère et résilience : redessiner le réel L’œuvre Le Semeur d’yeux (2024) de Giuseppe Caccavale, inspirée du livre de Luba Jurgenson sur l’écrivain soviétique Varlam Chalamov (1907-1982), interné pendant 17 ans dans un Goulag, se présente comme une méditation sur la mémoire et la résistance à l’effacement. Ce dessin monumental au crayon capture des fragments d’existence, en écho à une idée essentielle de Chalamov : « L’important est de s’en tenir au petit, à une miette de vie – isolée, mais exemplaire. » Par son humilité et sa portée universelle, l’œuvre rappelle que l’art, même dans sa simplicité, peut rendre visible l’indicible. L’exposition explore également ce que Marcel Duchamp appelait l’inframince : cet espace où le perceptible devient presque imperceptible. Les installations de Christiane Löhr, qui assemble graines et tiges naturelles pour créer des microcosmes, interrogent notre rapport à la fragilité du vivant et sa préservation. Cette réflexion rejoint celle de Joëlle Zask dans Admirer , où l’émerveillement apparaît comme une condition préalable à toute prise de conscience envers la nature et l’humanité. Le mouvement comme paysage mental : Joan Jonas Parmi les œuvres marquantes figure une vidéo réalisée en 2017 par Joan Jonas, pionnière de l’installation vidéo. Filmée en Asie, cette création mêle scènes du quotidien, personnages masqués et dessins évoquant les cycles de la vie. Fidèle à son approche expérimentale, Jonas montre comment l’art peut brouiller les frontières entre réel et imaginaire. Lumière et ombre : Mona Hatoum et le sublime troublant Certaines œuvres confrontent le spectateur à une dualité entre émerveillement et inquiétude. Misbah de Mona Hatoum, une lanterne orientale projetant des motifs mouvants, joue sur cette ambiguïté. Les ombres, d’apparence décorative, révèlent des silhouettes de soldats armés, suscitant un mélange de fascination et de malaise. Ce contraste, que Burke nommait la « terreur délicieuse », rappelle que le sublime s’accompagne souvent d’un sentiment d’effroi. La nature comme espace de transformation Stefano Arienti, avec sa forêt dorée peinte sur des bâches de chantier, réinvente un matériau ordinaire en vision poétique. Les branches et feuilles, rehaussées de dorures, invitent à redécouvrir la nature à travers le prisme des contes. Cette réinterprétation résonne avec les photographies de Laurent Mulot, où deux silhouettes minuscules se perdent dans l’immensité d’un paysage, exprimant à la fois la fragilité de l’individu et sa quête d’harmonie avec l’univers. Comme le décrit Romain Rolland dans sa correspondance avec Freud, le « sentiment océanique » – cette sensation d’unité avec l’immensité – offre une voie vers une réconciliation entre l’humain et le vivant. Une expérience collective et introspective Presi per incantamento dépasse l’expérience individuelle en créant un espace d’échanges. Les œuvres interagissent entre elles et avec les visiteurs, intégrés dans cette mise en scène mouvante. Alveare de Remo Salvadori évoque une partition silencieuse, où les lignes de cuivre vibrent au rythme des déplacements du public. Les silhouettes aériennes de Carolina Antich, évoquent l’enfance. En observant ces petits personnages, il est difficile de ne pas penser à l'univers du Petit Prince , qui nous invite à une réflexion intemporelle sur la quête de compréhension et de sagesse. Plus loin, le labyrinthe de papier d’Elisabetta di Maggio, sculpté à la main, traduit une résistance au rythme effréné du monde. Les œuvres sonores de Mariateresa Sartori complètent cette exploration. En amplifiant des bruits anodins – souffle, froissement – ses installations transforment des gestes ordinaires en expériences sensorielles presque mystiques, interrogeant notre capacité à écouter et préserver le vivant. Une invitation à traverser les mondes En puisant dans des matériaux modestes, des récits oubliés et des savoir-faire anciens, l’exposition bâtit des ponts entre passé et présent, tangible et imaginaire. À l’image des héros de Dante, les visiteurs sont pris dans un enchantement, invités à franchir ces seuils qui redéfinissent notre perception du réel. Informations pratiques Exposition Presi per incantamento Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD), Tours 15 novembre 2024 – 4 mai 2025
- Ana Vidigal au CCCOD : Entre Enfance et Mémoire Collective
L’exposition Pour voir, ferme les yeux , consacrée à l’artiste portugaise Ana Vidigal, se tient au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD) à Tours, du 4 octobre 2024 au 9 mars 2025. Sous le commissariat d’Élodie Stroecken, cette rétrospective traverse l’œuvre d’une artiste qui mêle souvenirs personnels et récits collectifs à travers une approche artistique subtile. Entre archives et enfance Née à Lisbonne en 1960, Ana Vidigal, diplômée de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Lisbonne, a grandi dans un milieu bourgeois imprégné de la rigueur de l’Estado Novo. La Révolution des Œillets de 1974, vécue à l’adolescence, a profondément influencé son travail. Ses œuvres, construites à partir d’archives familiales et d’objets du quotidien, tissent des liens entre l’intime et l’universel. Les collages et peintures exposés au CCCOD témoignent de son esthétique minimaliste, où chaque élément participe à une narration complexe. Pinocchio et les contradictions de l’enfance L’un des motifs centraux du travail de Vidigal est Pinocchio, figure symbolisant le contraste entre vérité et mensonge, liberté et contrainte. Ce personnage reflète les attentes pesant sur l’enfance, notamment dans une famille attachée aux apparences. « On m’a appris à cacher ce qui dérange, à sourire, à être une petite fille modèle », confie l’artiste, évoquant les pressions de son éducation. Dans des œuvres comme Era uma vez uma casa ( Il était une fois une maison , 2020), des jouets et livres d’enfants, évocations d’un univers protecteur, se mêlent à des éléments suggérant le contrôle et les non-dits. L’enfance y devient un espace où le silence imposé entre en conflit avec les désirs d’évasion. Vidigal aborde l’enfance non comme un âge d’innocence, mais comme un lieu de tensions entre obéissance et opposition. La série Menina Limpa. Menina Suja ( Fille propre, fille sale ), inspirée d’Emília, héroïne des contes de Monteiro Lobato, interroge les normes éducatives et sociales. Cette exploration révèle le contraste entre l’image lisse de la conformité et la quête intérieure de liberté, renforcée par les bouleversements politiques de son époque. L’esthétique de l’ellipse Les œuvres de Vidigal, nourries d’objets ordinaires – coupures de presse, carnets, textiles – fonctionnent comme des capsules temporelles. « Ce que je ne montre pas est aussi important que ce que je révèle », explique-t-elle. Ses compositions, souvent superposées, invitent à une lecture attentive où chaque détail devient un point d’interrogation sur la vérité et le secret. Une perspective sur la France La France occupe une place particulière dans l’imaginaire de l’artiste, notamment à travers les magazines Jours de France ou Paris Match , qu’elle consultait enfant. Ces publications, échappant à la censure salazariste, représentaient un ailleurs fantasmé. Vidigal revisite également dans ses œuvres les figures des Parisiennes de Kiraz, dont la sophistication stéréotypée devient un terrain d’exploration et de critique. Une poésie visuelle tissée de tensions L’exposition Pour voir, ferme les yeux couvre quinze ans de création, privilégiant une approche thématique plutôt que chronologique. Vidigal utilise une diversité de matériaux pour construire des œuvres où souvenirs intimes et histoire collective se rencontrent. Travaillant depuis toujours dans un atelier intégré à son domicile, elle décrit son processus comme un mélange de réflexion et d’intuition : « Parfois, c’est en faisant la vaisselle que je trouve une solution. » Cette méthode nourrit une œuvre où des thèmes sérieux sont traités avec une légèreté apparente. Un dialogue critique et ludique Malgré la gravité de ses sujets – répression, attentes familiales, poids des conventions, Vidigal conserve une approche ludique. Ce contraste entre une esthétique enfantine et des réflexions profondes donne à ses œuvres une intensité particulière, oscillant entre nostalgie et questionnement. Informations pratiques : Dates : Du 4 octobre 2024 au 9 mars 2025 Lieu : Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD), Tours Site web : www.cccod.fr
- L’art contemporain du Bénin s’expose à la Conciergerie
L’exposition “Révélation ! Art contemporain du Bénin”, sous les voûtes gothiques de la Conciergerie, n’est pas qu’une simple présentation d’œuvres. Elle nous transporte au cœur de la création béninoise actuelle, mêlant traditions ancestrales et regards contemporains. La Conciergerie : Histoire et art contemporain Ancien palais royal et salle de justice, la Conciergerie a traversé les siècles et les événements majeurs de l’histoire française, de la Révolution à la détention de Marie-Antoinette, en passant par les heures sombres de la Terreur. Ce lieu historique devient le théâtre où le passé rencontre les préoccupations d’aujourd’hui, offrant aux artistes béninois une scène idéale pour explorer les multiples facettes de leur identité et de leur culture. Des artistes engagés entre traditions et recyclage L’exposition, qui rassemble quarante-huit artistes, est une fresque vivante, riche et hétérogène, qui oscille entre peinture, sculpture, installation, photographie, et design. Parmi ces artistes, quelques figures marquantes se distinguent, chacune apportant une signature unique qui reflète les grandes thématiques de l’art béninois contemporain : la transmission, le dialogue avec les ancêtres, la récupération des matériaux, et la réinvention des rites. Julien Sinzogan, né en 1957 à Porto-Novo, explore les racines spirituelles de l’Afrique, notamment à travers la culture vodun. Ses œuvres nous ramènent à l’histoire de la traite transatlantique et aux cultures dispersées, mais aussi préservées, par la diaspora africaine. En utilisant des techniques minutieuses et des motifs inspirés de la tradition, Sinzogan crée des tableaux où le sacré dialogue avec l’histoire. Ses œuvres, exposées dans des institutions de renom comme le Victoria & Albert Museum, expriment avec force ce lien entre passé et présent, et témoignent d’une résilience culturelle toujours vivante. Edwige Aplogan, pionnière de l’art béninois au féminin, incarne quant à elle le métissage des symboles traditionnels et des matériaux modernes. Reconnue pour ses créations autour du dieu Lègba, souvent représenté avec un grand phallus, elle le réinvente en l’habillant de plexiglas et de lumière. À travers ce dieu messager, elle nous parle d’un Bénin qui se réapproprie ses racines sans renoncer aux influences nouvelles. Louis Oké-Agbo, issu d’une formation de photographe, capture les émotions humaines dans leur expression la plus brute. Né aux Aguégués, il utilise son art pour explorer les profondeurs de l’âme humaine, révélant les cicatrices laissées par la société. Empathique et engagé, Oké-Agbo pratique aussi l’art-thérapie pour soigner et unir, dans une osmose spirituelle avec la nature. Engagement écologique et social : l’art de la récupération Aston, de son vrai nom Serge Mikpon, et Marcel Kpoho, deux sculpteurs passionnés par la protection de l’environnement, illustrent à merveille l’art de la récupération, ou “upcycling”. Aston transforme les déchets en œuvres d’art saisissantes, dénonçant le gaspillage et sensibilisant à l’urgence écologique. Quant à Marcel Kpoho, il recueille pneus usés et matériaux divers pour concevoir des sculptures puissantes, qui interrogent sur l’avenir de notre planète. Leur art nous confronte aux défis écologiques, tout en redonnant vie à des matériaux abandonnés. Moufouli Bello, quant à elle, née en 1987, s’interroge sur les questions d’identité et de genre. Artiste et chercheuse, elle met en lumière le corps féminin noir et les perceptions sociales qui l’entourent. Ses œuvres cherchent à décoloniser le regard porté sur ce corps et à en libérer les représentations patriarcales. Sa peinture et ses installations jouent un rôle dans la construction d’espaces de droits et de dignité. Enfin, Emo de Medeiros, figure de l’hybridation culturelle, propose un univers où le vodun côtoie le numérique. Ses œuvres se situent au croisement des cultures, évoquant un “Homo futuris” qui se nourrit de ses multiples appartenances, entre Afrique et Europe, tradition et modernité. Cet artiste, formé entre Paris et le Massachusetts, est une figure emblématique d’un art béninois en pleine mondialisation, prêt à dialoguer avec le monde. Autour de l’exposition L’exposition s’accompagne aussi d’une programmation vivante, où l’art du Bénin se déploie en musique avec la talentueuse Mina Agossi, star de la scène afro-jazz. Accompagnée de musiciens de renom, elle propose des sessions intenses, comme un écho vibrant aux œuvres exposées. Pour prolonger l’expérience, le food truck Cha-Chenga invite les visiteurs à un voyage gustatif au cœur des saveurs béninoises. Chaque plat est un hommage à la richesse de la cuisine du Bénin, ajoutant une dimension sensorielle à cette immersion culturelle. Une absence marquante de figures emblématiques Bien que l’exposition “Révélation ! Art contemporain du Bénin” soit riche et variée, l’absence de figures majeures comme Romuald Hazoumé, Léonce Raphaël Agbodjelou et Calixte Dakpogan crée un sentiment d’incomplétude. Ces artistes contribuent pourtant activement à l’art béninois contemporain avec des œuvres critiques qui interrogent les dynamiques postcoloniales, les relations entre l’Afrique et l’Occident, et les réalités socio-économiques actuelles du Bénin. Romuald Hazoumé, par exemple, utilise des bidons d’essence pour créer des masques dénonçant la consommation excessive et le trafic de carburant, tout en interrogeant l’héritage colonial. Léonce Raphaël Agbodjelou, à travers sa série de photographies "Egungun", explore les traditions spirituelles et identitaires, en capturant la tension entre héritage culturel et modernité. Quant à Calixte Dakpogan, ses masques fabriqués à partir de matériaux récupérés sont une réinvention des traditions africaines, témoignant à la fois de la continuité culturelle et de la critique de la consommation contemporaine. L'absence de ces artistes amoindrit le caractère contestataire de l’exposition, privant le public de réflexions sur les questions politiques et économiques essentielles du Bénin actuel. En ne mettant pas en avant ces voix engagées, l’exposition donne une image moins nuancée de l’art béninois contemporain, qui sait pourtant se montrer provocateur et engagé dans la réflexion sur les tensions postcoloniales et les défis globaux. Art béninois : modernité et héritage spirituel Malgré ces absences, Révélation ! Art contemporain du Bénin offre une immersion captivante dans l’art béninois sous les voûtes séculaires de la Conciergerie, révélant la richesse de ses thèmes et la vitalité de ses artistes. Entre matériaux recyclés, rites vodun réinventés et explorations identitaires, cette exposition ouvre une fenêtre sur un univers d'expressions et de récits où passé et futur s’entrelacent, posant des questions universelles qui résonnent bien au-delà des frontières béninoises. Infos Pratiques Exposition : Révélation ! Art contemporain du Bénin Lieu : Conciergerie, 2 Boulevard du Palais, 75001 Paris Dates : Du 4 octobre 2024 au 5 janvier 2025 Horaires : Ouvert tous les jours de 9h30 à 18h Tarifs : Plein tarif : 13 €, Gratuit pour les moins de 18 ans. Accès : Métro : Ligne 4, station Cité ; RER B et C, station Saint-Michel Notre-Dame. Accessible aux personnes à mobilité réduite. Site officiel pour plus d’informations et réservation : https://www.paris-conciergerie.fr/agenda/revelation-!-art-contemporain-du-benin#presentation
- Lee Miller : L'indicible dans l'objectif
Je suis allée voir le film Lee Miller un peu par hasard, m’imaginant découvrir une biographie filmée classique. Mais dès les premières images, nous sommes plongés dans une époque tourmentée où les affres de la guerre sont capturés avec justesse par Ellen Kuras. La vie de Lee Miller (1907-1977), magistralement interprétée par Kate Winslet, y apparaît non pas comme un simple parcours de photographe mais comme un voyage à travers les tumultes de l’histoire et les profondeurs de l’âme humaine. Lee Miller : une femme aux multiples identités Lee Miller est une femme insaisissable, oscillant entre plusieurs identités — mannequin, muse surréaliste, photoreporter intrépide. Ses débuts, aux côtés de Man Ray, dans les salons avant-gardistes des années 1920 à Paris, la montrent audacieuse et fascinée par l’art. Elle collabore à la technique de la solarisation avec Ray, mais se révèle vite trop vaste pour se contenter d’être dans l’ombre d’un homme. On comprend en elle cette urgence de s’affranchir de son époque, comme un personnage de Virginia Woolf, épris d’indépendance, qui cherche dans la photographie un moyen de capturer le réel brut, sans les artifices du regard masculin. C’est en devenant correspondante de guerre pour Vogue que Miller déploie toute sa puissance. Pendant le Blitz de 1940-1941, elle capte le quotidien d’une Angleterre sous les bombes. À travers son objectif, les rues dévastées de Londres ne sont plus seulement des lieux de désolation, mais deviennent les témoins de la force et de la persévérance. Loin de chercher l’esthétique facile, elle braque son appareil sur les blessures d’un monde qui se fissure, assumant la dureté des images comme une nécessité, un devoir de mémoire. En 1942, elle est l’une des rares femmes à obtenir une accréditation pour couvrir le front européen comme correspondante de guerre. Elle découvre alors que Liberté , le poème de son ami Paul Éluard, est devenu un hymne de la Résistance, parachuté par milliers depuis les avions de la Royal Air Force sur les maquis. Lorsqu’elle entre dans les camps de Buchenwald et Dachau en 1945, ses clichés deviennent des cris silencieux, des pages de l’horreur que l’on ne peut ignorer. Ce sont des instantanés de la folie humaine, mais aussi de la lucidité d’une femme qui a vu l’innommable et refuse de détourner le regard. Son reportage, publié sous le titre « BELIEVE IT », choque par sa véracité et témoigne d’une colère viscérale. Traumatisée par la guerre et hantée par des blessures anciennes, notamment un viol subi dans son enfance, elle sombre dans la dépression et l’alcoolisme après son retour à Londres. Vogue , le glamour comme acte de résistance Le film met aussi en lumière le rôle décisif d’Audrey Withers, rédactrice en chef de Vogue durant la guerre. Sous sa direction, le magazine se transforme en une plateforme de mobilisation où les femmes sont encouragées à “se battre sans armes.” Là où Vogue aurait pu se limiter à son glamour habituel, Withers en fait un pont entre l’effort de guerre et la vie domestique, guidant ces “soldats sans fusils” qui, du foyer à l’usine, portent le pays sur leurs épaules. Ces héroïnes anonymes rappellent les personnages de George Sand, qui trouvent dans la nécessité de la guerre un chemin vers l’émancipation, brisant les carcans du quotidien. Vogue , cependant, n’abandonne pas la mode. Avec la devise “Make do and mend” (“Faisons avec ce que nous avons”), le magazine épouse une esthétique de la sobriété prouvant que même en temps de guerre, il y a toujours une place pour l’élégance et la dignité. Le travail de Miller et de Withers n’est pas qu’une documentation, mais une révolte visuelle contre la barbarie, une affirmation du regard féminin dans un monde qui cherche à l’invisibiliser. Lee Miller, photographiée dans la baignoire d’Hitler, nous dit quelque chose de bouleversant : elle est allée au bout de l’horreur et, dans cet acte provocant, elle reprend possession de son image, de son corps, face à celui qui a incarné la déshumanisation. Hommage aux héroïnes silencieuses Les clichés de Miller et les articles de Withers rappellent que l’atrocité peut prendre des visages ordinaires et que la banalité du mal s’infiltre partout, souvent sans que l’on daigne y prêter attention. Mais Lee et Audrey témoignent de la force de celles et ceux qui, avec leurs moyens modestes — un appareil photo, une page imprimée — préservent une humanité que la guerre cherche à effacer. En ces temps troublés, ce film est un hommage à toutes ces femmes qui, en pleine guerre, transforment le quotidien en acte de résistance et se dévouent à la vérité. Comme Miller l’a fait à travers ses images, le film nous laisse face à l’inconfort de l’inéluctable, mais aussi avec l’espoir qu’il restera toujours des témoins pour refuser l’oubli.
- Quincy Jones et le cinéma
Depuis quelques jours, bien des choses ont déjà été dites et écrites sur le musicien légendaire qu’était Quincy Jones. Pour ma part, je souhaitais revenir sur l’incursion remarquable de cet artiste dans le monde du cinéma. Bien sûr, il laisse derrière lui une œuvre unique, façonnée par son génie. Compositeur, chef d’orchestre, producteur, il n’a pas seulement traversé les époques : il les a créées. Avec une âme jazz, une détermination sans faille et un talent instinctif, Quincy Jones a su transformer chaque note en une émotion véritable. Mais au-delà de sa collaboration avec Frank Sinatra, Ray Charles, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Dizzy Gillespie, Michael Jackson, et beaucoup d’autres, Quincy Jones a aussi mené une carrière prolifique dans la musique de films et de séries, bâtissant un univers artistique inoubliable. Dès les années 60, alors que l’Amérique se réveillait au rythme des luttes pour les droits civiques, Quincy Jones laissait son empreinte sur des œuvres marquantes comme In The Heat of the Night , Dans la chaleur de la nuit . Avec Ray Charles à la voix, il ouvrait ce film où Sidney Poitier incarnait un homme noir affrontant le racisme dans le Sud. Le blues poignant de Quincy, porté par le timbre puissant de Ray, exprimait une réalité douloureuse qui réclamait d’être entendue. Avec Appelez-moi Monsieur Tibbs , Sidney Poitier retrouve Quincy pour un nouvel hymne à la dignité, un hymne où la mélodie suit les pas de Tibbs avec la force tranquille d’un héros qui refuse de plier. Ce sont des notes douces et fortes, où chaque souffle semble dire que la justice, elle aussi, a besoin de poésie. Peut-être la collaboration la plus explosive reste celle avec Sam Peckinpah pour Guet-apens . Le génie sauvage de Peckinpah trouve en Quincy Jones un partenaire d’audace. Ensemble, ils créent une bande-son à la hauteur de la fureur de Steve McQueen et de la grâce d’Ali MacGraw, un souffle musical qui épouse les poursuites, les silences, la violence brute de ce western urbain. Comment ne pas évoquer The Wiz , où, aux côtés de Michael Jackson et Diana Ross, Quincy réinventa le conte du Magicien d’Oz pour les jeunes Afro-Américains ? Là, sa musique brillait comme un phare, un appel à rêver, à croire en sa propre magie, à suivre sa propre route pavée d’étoiles et d’or. Pour La Couleur Pourpre , Quincy rejoignit le monde de Steven Spielberg pour créer un univers sonore d’une rare profondeur. La musique de Miss Celie’s Blues touchait au cœur des histoires de ces femmes, comme une confession, une promesse, un chant d’espoir et de douleur. Quincy avait le don d’habiter ces personnages, de leur donner une voix même là où les mots se taisaient. Puis, il y a eu cet éclat de joie, Soul Bossa Nova , ce morceau qui continue de faire danser les foules. Avec Lalo Schifrin au piano et le saxophone magique de Paul Gonsalves, saxophoniste de Count Basie et de Duke Wellington, Quincy signait là un hymne à la vie. Ce même morceau s’invita plus tard dans les folies d’Austin Powers, mais toujours avec cette étincelle unique, cette liberté qui n’appartient qu’à lui. Enfin, pour la télévision, Quincy marqua les esprits avec la série Ironside, l’homme de fer , où Raymond Burr, futur Perry Mason, incarne un détective en fauteuil roulant. La fusion jazz-funk de la bande-son devenait le témoin d’une époque où le jazz se mêlait au groove, où les notes perçaient l’écran comme un cri de délivrance. Quincy Jones vient de nous quitter, mais il n’est pas vraiment parti, car sa musique continuera de résonner longtemps encore, dans nos esprits et dans nos cœurs. #quincyjones, #musiquedefilm, #sidneypoitier, #Guetapens, #thewiz, #lemagiciendoz, #michaeljackson, #dianaross, #Missceliesblues, #sampeckinpah, #franksinatra, #Quincyjonesetlecinéma
- Kris Kristofferson, l'incarnation du cool
Kris Kristofferson, le géant de la country et du cinéma, vient de nous quitter. Je dois admettre que je connais mal le Kristofferson star de la country, celui qui, aux côtés de Johnny Cash et Willie Nelson, a contribué à redéfinir le genre musical, même si je savais qu’il était une légende de la country bien avant que je ne le découvre acteur. Ses titres, repris par des icônes comme Janis Joplin, Elvis Presley et Johnny Cash, l'ont propulsé au Panthéon de la musique country, un univers récemment investi par Beyoncé avec son album Cowboy Carter . Mais je connais bien le Kristofferson acteur. Celui qui, avec son regard bleu perçant, son allure nonchalante et sa voix rocailleuse, incarnait une forme de "cool" ultime, plus rude, plus authentique, loin du cool à la Steve McQueen. Dans Une étoile est née (1976), aux côtés de Barbra Streisand, il interprète un rocker déchu, et le film est tout aussi poignant que la version de 1954 avec Judy Garland et James Mason. Chaque adaptation – y compris celle de 2018 avec Lady Gaga et Bradley Cooper – semble capturer la même magie : l'ascension d'une étoile et la chute tragique d'une autre. Mais la version de 1954 marquait le retour flamboyant de Judy Garland dans le rôle d'Esther Blodgett. Quant à celle de 1976, elle portait le grain particulier des années 70, une époque où l’énergie brute et la vulnérabilité de Kristofferson résonnaient puissamment. Et puis, il y a eu ses autres films. Dans Pat Garrett & Billy the Kid (1973), un western culte, il partage l’affiche avec James Coburn, le Monsieur « Crispé » de Sister Act 2 (1993), tandis que Bob Dylan, dans un petit rôle, signe la bande originale légendaire avec Knockin' on Heaven's Door. Plus tard, il sera le mentor bourru de Wesley Snipes dans Blade (1998), incarnant une autre facette de ce talent polyvalent. Que ce soit sur scène ou à l’écran, Kristofferson était une icône. Un homme dont le talent semblait sans limite, un homme qui semblait vivre son art avec une grande sincérité. Kris Kristofferson vient de nous quitter, tout comme Dame Maggie Smith, James Earl Jones, Tito Jackson, et tant d’autres. Une génération s’éteint, nous laissant orphelins d’un monde qui n’est plus depuis fort longtemps. Un monde que certains découvriront bientôt qu’au travers la petite lucarne, vestige d’une époque révolue, où ces géants brillaient encore. #KrisKristofferson, #Musiquecountry, #Astarisborn, #Patgarrettetbillylekid, #JamesCoburn, #Barbrasteisand, #Cinemaamericain, #WillieNelson, #JohnnyCash
- Tatami : Duel sous haute pression
Lorsque l’on entre dans la salle pour voir Tatami , on pense que l’on va assister à un film de sport. On s’imagine déjà les combats, la sueur, la tension dans l’air. Mais très vite, on comprend que ce n’est pas juste un duel de judo qui se joue sous nos yeux, c’est un affrontement bien plus grand : celui d’une femme contre un régime, d’un rêve contre un ordre oppressant. Et là, la claque est immense. Leila Hossein, la judokate iranienne incarnée par Arienne Mandi, est là pour gagner. Elle veut cette médaille d’or, elle la mérite, et on la veut pour elle aussi. On la suit, crispés, dans les vestiaires, sur le tatami, partout. Mais voilà que le régime iranien lui tombe dessus : hors de question d’affronter une Israélienne. La solution ? Simuler une blessure. Mensonge, soumission, ou bien la liberté... mais à quel prix ? Noir et blanc, sans compromis Dès les premières images, ce noir et blanc. Ça capte tout, ça vous happe. Les visages sont tranchants, les corps en mouvement sont plus nets, plus bruts. Ce noir et blanc, c’est un choix fort. Comme si chaque nuance de gris avait été effacée. Et c’est là où réside la puissance du film : ces combats, qu’ils soient physiques ou intérieurs, sont présentés sans fioritures, sans compromis. Il n’y a pas d’échappatoire, pas d’ambiguïté. C’est ce qui donne à Tatami cette ambiance oppressante, cette tension qui ne se relâche jamais. Les actrices qui crèvent l’écran Mais parlons des actrices, parce que franchement, elles portent le film à bout de bras. Arienne Mandi, en Leila, est incroyable. Il y a cette rage en elle, cette fragilité aussi. À chaque prise, on ressent son conflit, cette envie de tout envoyer balader, mais aussi cette peur viscérale. On vit avec elle ce dilemme insupportable. Et puis il y a Zar Amir Ebrahimi qui co-réalise le film, et joue Maryam, l’entraîneuse. Son personnage est plus nuancé, plus pragmatique, presque résigné. Elle incarne ce conflit interne à merveille. Leur duo fonctionne tellement bien qu’on en oublie presque tout le reste. On est avec elles, dans cette lutte, dans cette impasse. Un peu trop simple parfois... Maintenant, soyons honnêtes, le film a ses limites. Il y a ce côté « nous contre eux », un peu trop simpliste parfois. D’un côté, les "gentils", ceux qui résistent avec l'occident pour les aider, et de l’autre, le régime iranien, les "méchants". C’est clair, net, mais ça manque un peu de nuances. On sait que la situation est bien plus complexe que ça, et là, on aurait aimé que le film explore plus ces zones grises. Les choix sont souvent impossibles dans la réalité, mais ici, on est parfois trop dans une lecture binaire. La vraie rébellion, c’est d’exister Ce qui est fascinant, c’est que ce film sort alors que l’Iran bouillonne encore du mouvement Femme, Vie, Liberté . On ne peut s’empêcher de penser à toutes ces athlètes iraniennes qui ont dû se plier à des règles absurdes, qui ont vu leurs rêves écrasés sous la botte d’un régime autoritaire. On se souvient de Kimia Alizadeh, la médaillée olympique qui a fui le pays, dénonçant les pressions insupportables. Tatami fait écho à toutes ces histoires de courage. C’est un film qui, sans le dire ouvertement, nous parle de ces femmes qui, par leur seule présence, défient les règles. Parce qu’au fond, la vraie rébellion, c’est d’oser exister, d’oser se battre, même quand tout semble perdu d’avance. Tatami est un film qui vous prend aux tripes, vous plonge dans une lutte acharnée, portée par deux actrices impressionnantes. Il y a des défauts, oui, ce manichéisme trop appuyé parfois, mais la puissance des émotions l’emporte. Ce film est un combat en soi, et qu’on le veuille ou non, il nous marque, il nous remue. #Tatami #Femmesvieliberte #femmesiraniennes #sportivesiraniennes #ArienneMandi, #ZarAmirEbrahimi #kimiaalizadeh #guynattiv #cinemairanien #filmsportifs